Ensemble pour « changer le monde »

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Seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu’ils peuvent changer le monde y parviennent. Jack Kerouac

Les colibris et l’incendie

La légende du colibri (1), chère à Pierre Rabhi, inspire nombre d’entre-nous. « Je fais ma part » . Nous sommes, aujourd’hui, des millions de par le monde à tenter de faire notre part pour essayer d’éteindre l’immense incendie que la démiurgie prométhéenne qui nous anime depuis trois siècles a déchaîné..

Il n’est plus absurde de penser qu’à relativement brève échéance (un ou deux siècles) l’humanité puisse disparaître (sous l’effet de la montée des eaux – plus de 60 mètres si toutes les banquises fondent – ou parce qu’elle aura été remplacée par des « transhumains », de super-robots plus « intelligents » que nous)..

Face à un tel incendie à quoi peuvent servir toutes ces gouttes d’eau, fussent-elles des millions ? À rien. Si elles tombent séparément, elles se seront toutes évaporées avant d’atteindre le sol. L’incendie sera toujours le plus fort. Par contre, si elles s’assemblent, toutes, en une pluie torrentielle, alors celle-ci pourra éteindre le feu, alors notre « agitation » ne sera plus « dérisoire ».

Les nouveaux acteurs

Telle est la situation où nous nous trouvons aujourd’hui. « Je fais ma part » : la prise de conscience progresse rapidement et les « colibris », les femmes et les hommes engagés dans l’action, sont de plus en plus nombreux ; ils ont à leur disposition de nouveaux moyens de communication, de mise en réseau, de travail collaboratif de plus en plus performants. Manque le déclic qui transformerait en un vaste mouvement, en une vague irrésistible, ces millions de gouttelettes aujourd’hui dispersées.

Comment les réunir ? Certainement pas selon les anciens schémas. Les nouveaux acteurs sociaux sont « autonomes (2) » : ils ne veulent plus appartenir à des structures centralisées, hiérarchisées, avoir des « chefs » ; ils refusent les idéologies ; ils sont dans l’horizontalité, la transversalité, les réseaux. Beaucoup d’entre-nous travaillons déjà ainsi.

Si nous ne sommes pas capables de concevoir, ensemble, de nouvelles formes de rassemblement et d’action qui respectent ces conditions, nous n’arriverons à rien : il nous faut inventer du collectif (du politique) hors de l’organisationnel.

Nous nous trouvons donc dans cette situation d’avoir à bouleverser les structures de pouvoir en annulant, dans ce mouvement, les effets de pouvoir que ne peut manquer d’engendrer ce bouleversement même. Ce qui suppose que nous repensions entièrement les conditions de l’action dite « politique ». Rien de ce qui est maintenant disponible en ce champ (idéologies, formes d’organisation) n’est adéquat à la tâche, urgente, qui nous attend (3)

Une vague irrésistible

Les moyens techniques, nous l’avons vu, sont à notre disposition. Et beaucoup travaillent de concert, en ce moment même, à leur amélioration et à garantir leur indépendance. Pour, espérons-le, engendrer l’outil qui rassemblera tous les « colibris » sur un immense réseau et leur permettra, si nécessaire, d’agir ensemble. Un outil sur lequel pourront se retrouver les nombreux réseaux déjà existant mais aussi les acteurs qui veulent rester indépendants. Un outil aussi facilement appropriable que le sont, aujourd’hui, Google ou Facebook. Un tel outil décuplera notre efficacité.

Mais pour se rapprocher les uns des autres, il faut d’abord se connaître : d’où le besoin d’un annuaire de toutes celles et ceux, structures ou individus, qui sont déjà dans l’action pour changer le monde, sur le terrain, dans les alternatives, dans la transition. Faisons, tous ensemble, l’inventaire, le plus complet possible, des acteurs du changement, classés géographiquement et thématiquement. Nous constaterons alors que nous sommes beaucoup plus nombreux que nous ne le pensons. Et nous pourrons multiplier les contacts entre nous.

Retrouver du/le Sens

Manque également une vision qui aide à nous rassembler et à convaincre tous ceux qui n’ont pas encore ouvert les yeux.

L’action politique ne peut réussir que si elle réussit à « amalgamer des « majorités » qui additionnent des groupes sans ancrage déterminé » … Elle suppose un projet culturel, de société, qui – comme ce fut le cas du projet socialiste – transforme en énergie politique l’exigence morale et le besoin de donner un sens à l’avenir … une « utopie » capable de donner à la troisième révolution industrielle un sens (4).

L’utopie que Gorz appelle de ses vœux est déjà bien incarnée. Des millions de personnes la vivent au quotidien. Nombre de briques qui serviront pour bâtir la nouvelle société sont en place, ici ou là. Ce qu’il faut faire, maintenant, collectivement, c’est imaginer une nouvelle « architecture ».
Pas une nouvelle idéologie, un nouveau truc en « …isme ». Juste faire émerger un sens fédérateur. Il n’émanera aucunement d’intellectuels ou de penseurs « éclairés » (bien que nombre d’entre-eux aient une pierre à apporter à l’édifice), mais sera le produit de notre réflexion commune. De la base va émerger une conscience collective (5).

Nous pouvons tous, selon notre disponibilité, participer à la rédaction d’un nouveau « Manifeste », ouvert et évolutif, un « work in progress » qui rassemble autour de lui, pour son élaboration comme pour sa diffusion, un maximum d’entre nous. Commençons par en proposer une ébauche, quelque chose de fort dans son contenu et de percutant dans sa forme.

Seul, dans sa fragilité, le verbe peut rassembler la foule des hommes pour que le déferlement de la violence se transforme en reconstruction conviviale (6).

S’engager

Pour enclencher le processus, initier la démarche, il faut une action volontariste. Que toutes celles et ceux qui sont intéressés par ce projet de transversalité entrent en contact, commencent à faire un « inventaire », réfléchissent à une esquisse de « Manifeste », enclenchent le mouvement… Créons, pour cela, une structure informelle, ouverte, évolutive, transparente : ainsi autonomie des acteurs et ébauche d’une pensée et d’une action collectives ne s’opposeront plus mais, au contraire, s’enrichiront mutuellement (7).

Isolés, les colibris ne servent « à rien » ; or, sans eux, rien n’est possible : c’est en dépassant ce paradoxe que nous pourrons espérer faire reculer l’incendie.

Bernard Vatrican

 

1 – Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt.
Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre.
Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu.
Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit :
« Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! »
Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »

2 – L’autonome est un individu qui refuse l’appartenance et la compétition, qui est responsable, qui a le sens de l’altérité, qui est donc en lien avec les autres et avec le monde ; un individu non individualiste.

3 – Jean-Tousaint Desanti, Sur la crise, in Encyclopedia Universalis, Supplément 1980, Organum, tome 1, page 7.

4 – André GORZ, Métamorphoses du travail Quête du sens, Galilée, 1988 ; p. 125-6. Gorz cite, ici, Peter Glotz (secrétaire exécutif du SPD de 1981 à 1987), Manifest für eine neue europaïsche Linke, Berlin, 1985.

5 – Serge Mongeau, le père de la simplicité volontaire, au Québec.

6 – Ivan Illich – La convivialité – (v. f. en collaboration avec Luce Giard et Vincent Bardet) – Le Seuil, 1973 ; p. 157.

7 – nstituant, ainsi, une praxis qui corresponde aux vœux de Castoriadis : en rien « l’application d’un savoir préalable » mais s’appuyant sur un savoir qui émerge de l’activité elle-même, interdisant par là toute position d’extériorité et de domination – D’après Philippe Caumières, in Autonomie ou barbarie, ouvrage collectif sous la direction de Manuel Cervera-Marzal et Éric Fabri, le passager clandestin, 2015 ; p. 205.

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